Negar Pishva, Conseillere en Successions & fiducies, Gestion de patrimoine Scotia 

Nous parlons tous à nos clients de l’importance de la planification successorale et de la planification dans l’éventualité d’une incapacité à gérer leurs avoirs. Nous parlons de long en large du maintien de niveau de vie du conjoint survivant, de la distribution aux enfants, des mécanismes à notre disposition pour protéger les héritiers ainsi que le capital.

Nous faisons parfois face à des situations évidentes de vulnérabilité et il est souvent opportun de considérer les fiducies Alter Ego ou les fiducies mixte au profit du conjoint comme solution pour la protection des avoirs et outil de planification testamentaire et en cas d’incapacité.

Rappelons qu’une fiducie en faveur de soi-même ou une fiducie Alter Ego est constituée du vivant par une personne, le constituant de 65 ans et plus, et dont il est le seul et unique bénéficiaire tout au long de sa vie. Nulle autre personne ne peut recevoir les revenus ni le capital de la fiducie avant le décès de celui-ci.

Une telle fiducie peut également être une fiducie mixte au profit du conjoint, c’est-à-dire que la fiducie est établie à la fois pour le bénéfice du constituant âgé de 65 ans et plus et de son conjoint.

Ce type de fiducie comprend de nombreux avantages.

J’explique à l’aide de personnages totalement fictifs et imaginaires qui peuvent servir de cadre dans notre travail quotidien.

Mme Ville-Marie est âgée de 75 ans. Elle a toujours eu une relation plus ou moins chaleureuse avec son fils unique Faustin. Depuis un certain temps déjà, Faustin et son épouse Griffin lui demandent des copies de son testament et de son mandat de protection à intervalles de plus en plus rapprochés. Les petits-enfants de Mme Ville-Marie aiment particulièrement avoir accès à son chalet avec leurs parents qui eux en jouissent pleinement bien que ce soit Mme Ville-Marie qui en est la propriétaire et qui subvient à tout l’entretient et les frais qui en découlent. Les jeunes sont clairement influencés par le comportement et les discussions familiales, puisqu’ils demandent à leur grand-mère combien ils hériteront à son décès et si le chalet leur appartiendra.

Dans le passé, Mme Ville-Marie n’avait aucun problème à s’opposer à ces demandes et intrusions, mais elle est de plus en plus fatiguée moralement, déçue, peinée, et elle pense à plier à leurs demandes juste pour avoir la paix!

À l’arrivée de la pandémie, sa bru, qui est coiffeuse, se trouve dans un état financier particulièrement difficile. Le couple se tourne de plus en plus vers Mme Ville-Marie pour un soutien financier. Les demandes d’argent se multiplient au point où ils menacent Mme Ville-Marie de la placer en résidence, prétendant qu’elle n’est plus apte à s’occuper de ses finances. Ils demandent des relevés de compte bancaire, des numéros de carte de crédit et débit ainsi que les mots de passe alors qu’elle est parfaitement apte et en mesure de gérer ses avoirs. Mme se porte très bien : elle résiste les demandes incessantes d’argent, elle ne se laisse pas influencer par les menaces d’être placée en résidence. Elle est simplement épuisée de cette relation difficile et à briser le cœur.

Dans le cadre d’une planification testamentaire, on pense immédiatement au mandat de protection afin de nommer une personne autre que son fils ou sa bru pour agir comme mandataire aux biens. On vise à s’assurer qu’ils ne dilapideront pas les avoirs de Mme, et on se souci de leur bonne foi dans l’administration des avoirs de Mme Ville-Marie. C’est très bien, mais on passe à côté de ce dont elle a besoin dès maintenant : une assistance et une paix d’esprit immédiate.

Une fiducie en faveur de soi-même (Fiducie Alter Ego) est un outil de planification souvent négligé mais constitue une réelle protection.

J’explique.

Étant âgée de 65 ans et plus, le transfert des avoirs de Mme à la fiducie sera fait sans conséquence fiscale. Mme ayant toujours été à l’affut de ses placements et à l’affut de la gestion de ses avoirs continue d’exercer ce contrôle, tout en se dotant d’un deuxième niveau de protection, soit celle de la présence du co-fiduciaire professionnel. Aujourd’hui donc, le fils et la bru de Mme pourraient exercer toutes les pressions qu’ils veulent, nulle personne ne pourra avoir de droits ni accès aux avoirs de Mme.

Le mot clé dans la constitution d’une fiducie Alter Ego, particulièrement au Québec où les ‘probate fees’ des juridictions de common law ne s’appliquent pas lors d’un décès, est : PROTECTION. Protection contre toute personne abusive ou de mauvaise foi, contre ses propres erreurs, contre tout recours.

Cela dit, c’est également un complément précieux au mandat de protection puisque le fiduciaire indépendant agissant conjointement avec Mme Ville-Marie continuera à agir seul et à gérer ses avoir. Donc il n’y aura pas lieu d’attendre les longs délais d’homologation du mandat pour que l’administration des avoirs de Mme continue pour son compte comme bénéficiaire de la fiducie.

Dans ce type de planification, on peut faire face à certaines difficultés.

À mon avis, plus l’âge de nos clients avance, plus les idées préconçues sont établies dans l’esprit.  C’est-à-dire que ‘planification’ équivaut à testament et mandat de protection. Cette conviction est juste, elle est bonne, mais néglige la solution de la fiducie Alter Ego. De plus, la prise de décisions devient plus difficile avec l’âge et souvent les clients restent avec ce qu’ils comprennent mieux (ce qui est très respectable). Si les conversations commencent dès l’âge de 60-65 ans et même plus tôt, à l’âge de 65-70-75 ans, notre client a déjà depuis plusieurs années eu l’opportunité de poser des questions, de se familiariser avec le concept et ainsi prendre une décision éclairée.

La vulgarisation du concept de la fiducie en faveur de soi-même est clé. Encore plus important est le fait de parler de tous les outils de manière régulière à nos clients. La prise de décisions sera alors moins difficile et surtout, éclairée.